Ce matin s’est tenue une réunion du Conseil franco-allemand de défense et de sécurité. Puis, une réunion plénière d’où nous arrivons. Les principaux thèmes abordés ont été ceux des affaires européennes, bien entendu, dans leur ensemble, les conflits internes à l’ancienne Yougoslavie, la négociation du GATT, les dossiers de coopération bilatérale ; dans le domaine de la défense : le Corps européen.
Le problème a été évoqué à tous les niveaux : M. le Premier ministre, le Chancelier d’Allemagne, moi-même, entretiens des différents ministres. On en parlera, si vous le désirez tout à l’heure, et M. le Premier ministre apportera, si vous le souhaitez et s’il le souhaite, des précisions à cet égard.
Sur tous ces sujets, la coopération et la concertation bilatérale se continueront entre nous au sein des enceintes internationales.
L’Allemagne et la France ont exprimé le souhait qu’à la suite des discussions engagées avec la Belgique, ce pays sera en mesure de décider bientôt d’adhérer au Corps européen. Il s’agit d’une entreprise que nous considérons comme essentielle, pour la construction européenne, dans sa dimension nécessaire de défense.
LE CHANCELIER KOHL : Monsieur le Président de la République, Monsieur le Premier ministre, Mesdames et Messieurs, tout d’abord, au nom de la délégation allemande, je voudrais vous remercier de la merveilleuse hospitalité dont nous avons bénéficié à Beaune. Je remercie également Monsieur le Maire de la ville de Beaune, les conseillers municipaux et toutes les citoyennes et citoyens de Beaune qui nous ont si bien accueillis dans cette ville merveilleuse.
Nous avons tenu les 6lèmes consultations franco-allemandes, ce qui montre que les relations franco-allemandes sont intenses, ce qui montre également le problème des conférences de presse : quand cela marche bien, l’intérêt est réduit ! L’esprit commun entre l’Allemagne et la France se reflète au cours de ces consultations franco-allemandes, et lors de beaucoup de rencontres bilatérales aussi entre ministres, entre le Président de la République ou moi-même, tout cela s’accumule et s’est accumulé depuis des années et des années, et c’est toute une somme de travail qui est nécessaire.
Q - Est-ce qu’il y a quand même une petite dissonance entre le Chancelier et vous, la France et l’Allemagne en ce qui concerne le programme d’action sur la Bosnie et peut-être une question au Chancelier, que pensez-vous du plan du Premier ministre Balladur d’une conférence de sécurité pour la stabilité en Europe ?
LE PRESIDENT : J’ai bien noté l’autre aspect de la question posée par le correspondant de la télévision allemande. Y a-t-il des dissonances ? Le problème est aussi de savoir si il y a des points sur lesquels l’accord s’établit. C’est pourquoi une résolution de déclaration a été mise au point, vous pouvez en prendre connaissance. Elle comporte quand même des points très positifs. D’abord, c’est la réaffirmation du soutien au plan Vance-Owen, c’est la détermination de n’envisager une levée des sanctions contre la Serbie et le Monténégro que si les termes de ces résolutions du Conseil de sécurité sont intégralement remplis.
LE PREMIER MINISTRE : Merci, Monsieur le Président. En effet, depuis quelques semaines, le gouvernement français s’est préoccupé de mettre au clair un certain nombre de principes et de propositions concernant l’avenir de la sécurité en Europe, objectif d’autant plus indispensable que nous avons justement l’affaire yougoslave dont M. le Président de la République et M. le Chancelier viennent de parler et qui n’est pas le meilleur des exemples que l’on puisse donner de cette sécurité.
Alors le document qui a été élaboré est actuellement en cours d’examen, le Président de la République et moi-même devons en parler dans les prochains jours et, une fois que sa version définitive sera arrêtée, il sera communiqué à nos partenaires ; en premier lieu, le Chancelier Kohl, bien entendu. Il nous semble qu’il serait souhaitable qu’il puisse être discuté, au moins dans ses lignes générales, lors du prochain sommet de Copenhague.
Pourquoi cette préoccupation de sécurité ? Pour deux motifs. Le premier c’est que la stabilité et la sécurité du continent ne paraissent pas définitivement assurées, c’est le moins que l’on puisse dire, et le second c’est que, si l’on parvient - ce qui est souhaitable, ce qui parait maintenant infiniment probable - à une ratification définitive par les douze signataires du traité d’Union européenne, il faut commencer à donner consistance au contenu de ce traité, notamment tout ce qui concerne les objectifs de sécurité et de politique étrangère commune. Et il nous a semblé, au Président de la République comme à moi-même, que c’était un premier exercice tout à fait utile et tout à fait dans la ligne de ce choix qui a été fait par notre pays. J’ajoute que l’originalité, une des originalités peut-être de ce document, sera de conférer à la Communauté européenne des Douze un rôle d’initiative et de proposition en la matière, ce qui ne veut pas dire exclure qui que ce soit parmi les puissances intéressées à la stabilité et à la paix de l’Europe. Voilà les quelques indications que je voulais donner.
Q - Paul Touvier a été renvoyé en cour d’assises des Yvelines aujourd’hui. Je voudrais donc savoir si vous vous félicitez de ce renvoi en cour d’assises et ce que vous attendez de ce procès ?
R - LE PRESIDENT : Notre sentiment personnel est facile à comprendre, surtout pour ceux qui ont vécu la période de la guerre, la résistance et l’occupation. Maintenant, il appartient à la justice de se prononcer.
Q - Monsieur le Président, dans vos remarques au début vous avez parlé du plan Vance-Owen en disant que sa nature se modifiait peu à peu. Est-ce que vous pourriez préciser dans quel sens vous le voyez se modifier. Est-ce que le Chancelier pourrait préciser, lui aussi, comment il voit le plan entrer en vigueur et sous quelle forme ?
R - Je voulais dire simplement, pour ce qui me concerne, que le contenu de la notion de zone de sécurité donnait un autre sens aux décisions prises jusqu’alors, ou plutôt complétait ce sens, puisqu’il s’agit désormais d’élargir le champ des missions données aux forces en question, à la protection des populations civiles et pas seulement aux actions contenues naturellement dans les limites et dans les règles très étroites des forces des Nations unies. Voilà ce que je voulais dire. Il y a donc indiscutablement un engagement supplémentaire.
R - LE CHANCELIER KOHL : Le sujet important dans tout cela c’est la sécurité de la population civile et il faut que cela s’intègre. C’est pourquoi j ’approuve tout à fait cette tendance. Toutes ces images d’horreur à la télévision sont insupportables pour tous les hommes civilisés et nous devons nous efforcer de nous y opposer.
Q - Je voudrais vous poser, Monsieur le Président de la République, une question sur ce que l’on appelle la cohabitation. Je voudrais savoir comment se passe la répartition du travail entre vous-même et Monsieur le Premier ministre et votre impression sur ce premier exercice ? Question qui s’adresse également et, naturellement, à Monsieur le Premier ministre.
R - LE PRESIDENT : Je vous renvoie à Saint-Thomas : "Voyez" !
R - LE PREMIER MINISTRE : Je crois que Saint-Thomas dit "Voyez et touchez" !
R - LE CHANCELIER KOHL : En tant que démocrate chrétien, je trouve très beau le rôle qui est joué ici par Saint-Thomas !
R - Je ne sais pas qui vous communique toutes ces informations. D’abord, j’ai lu la Frankfurter Rundschau d’avant-hier, votre journal ; ce n’est pas moi qui ai dit tout cela. J’ai parlé au Président de la République comme j’ai parlé au Premier ministre de la République Française : je leur ai fait un rapport réaliste. Oui, au regard de la situation économique, je dois dire que, comme les autres pays, nous avons nos problèmes avec la récession, en Europe et dans le monde tout entier.
Par ailleurs, comme vous le savez, nous devons adopter très prochainement un "paquet" d’économies. Nous devons réduire le volume des crédits, c’est très important pour la politique de la Bundesbank. Pour la partie française, je dirai que le Premier ministre fait des propositions portant sur cinq années et c’est une proposition qui m’intéresse énormément du point de vue dialogue intra-allemand ; nous pouvons nous apprendre mutuellement.
Et puis, il y a quelques jours, il y a eu ce terrible attentat, cet incendie criminel à Solingen. Je dois dire que c’est dramatique et vraiment j’en ai eu honte. C’était déplorable même si nous savons maintenant, d’après toutes les probabilités, que c’est un élément asocial qui a commis cet horrible forfait. Malheureusement, ces phénomènes isolés existent partout. Néanmoins, le fait reste, c’est une horreur mais cela ne change rien au fait que la position de l’Allemagne est celle d’un pays accueillant et ouvert, et amical aux étrangers. Alors si c’est cela que vous voulez dire, oui on en a parlé avec un certain nombre de nos partenaires français qui connaissent très bien l’Allemagne et trop bien pour avoir une autre opinion. Merci.
Q - La même question, Monsieur le Premier ministre.
R - LE PREMIER MINISTRE : Nous avons effectivement parlé, Monsieur le Chancelier et moi-même de la situation économique dans nos deux pays, et le constat que l’on peut faire, c’est que l’Europe est parmi les grandes zones économiques du monde celle qui réuni deux caractéristiques : avoir la croissance la plus faible et les taux d’intérêt à court terme les plus élevés. Nous avons pensé, le Chancelier et moi-même qu’il y a lieu de réfléchir à cette situation et de voir quelle politique économique nous pourrions essayer de mettre en place ensemble et notamment de voir si, à l’occasion du sommet de Copenhague, nous ne pourrions pas avoir une position commune sur les propositions que la Commission va faire aux gouvernements des Douze.
Il est bien vrai que nous allons élaborer, nous-mêmes, du côté français un projet de loi quinquennal sur la réduction des déficits que le Chancelier m’a demandé de lui communiquer - ce que je ferai bien volontiers, bien entendu - mais je pense que la réflexion que nous devons avoir, c’est comment restaurer davantage de croissance en Europe car l’absence de croissance entraîne l’extension du chômage et la fragilisation de la société tout entière. Il me semble que c’est l’un des sujets à la fois les plus importants et les plus urgents auxquels devrait s’attacher la coopération entre l’Allemagne et la France.
R - LE CHANCELIER KOHL : Tout d’abord je voudrais dire qu’en ce qui concerne les résultats du Conseil agricole, je les salue et je salue également la coopération très étroite entre nos ministres de l’Agriculture allemand et français. Cette coopération a certainement conduit et contribué à ce résultat positif.
Deuxièmement, je voudrais dire que nos positions de base ne s’écartent pas tellement sur plusieurs points. Premièrement, il est très bon que les négociations se fassent et sortent d’une perpective qui consiste à discuter d’abord de l’agriculture en écartant les autres sujets. Je dois dire que cela a donné un avantage considérable à mes amis américains. Je n’ai jamais été très heureux de cette approche.
Vous avez parlé de globalisation. Effectivement, c’est tout à fait cela, il faut faire une liste des sujets et des problèmes en suspens et il faut y mettre un titre général ; c’est-à-dire qu’il faut tout caser dans cet accord général. Il y a encore beaucoup de pain sur la planche, beaucoup de travail à faire mais il y a des motifs très importants pour faire avancer les choses et ce rapidement.
Premièrement, il est tout à fait évident pour moi et pour nous que les nations industrielles, ici ou au-delà de l’Atlantique, ont besoin du GATT. L’économie mondiale ne pourra pas recouvrer sa santé sans le GATT mais nous ne devons pas payer n’importe quel prix. Il faut que ce soit un accord raisonnable, rationnel, un compromis acceptable pour tous.
Deuxième élément dont on ne parle pratiquement plus mais je vais le faire quand même, il s’agit d’une obligation morale vis-à-vis des pays du Tiers-Monde qui ont besoin d’un accord sur le GATT et c’est pourquoi nous sommes convenus que pour préparer Tokyo - notamment au niveau des Sherpas - nous coopérerions étroitement entre la France et l’Allemagne. Donc, je pense que cette pause ne sert les intérêts de personne, ni même ceux de nos partenaires américains.
R - LE PRESIDENT : Qu’est-ce que le GATT sans les négociations commerciales internationales sur tous les sujets ? Nous n’avons pas décrété que les négociations devaient être globales bien que nous ayons été contraints de le faire car elles sont par nature globales. Mais je laisse le Premier ministre expliquer la position française à ce sujet.
R - LE PREMIER MINISTRE : En effet, nous avons tenté depuis quelques semaines de clarifier, de préciser un peu la position qui pouvait être prise sur les négociations du GATT, notre idée étant qu’il fallait que les accords fussent équilibrés et qu’ils fussent généraux et complets. C’est-à-dire que nous sommes hostiles à une fragmentation et une parcellisation des négociations, pas à pas et sujet par sujet, qui n’ont pas donné de très bons résultats.
Alors à ce degré de généralité des intentions, l’accord est facile à réaliser bien entendu, et il a été réalisé je le crois, mais comme le Chancelier l’a dit au cours de la conversation qu’il a eue avec le Président de la République et avec moi-même, il est bien vrai qu’ensuite, il faut entrer dans les précisions point par point. C’est ce que nous allons tenter de faire. Nous n’avons aucune intention a priori hostile, cela va de soi et nous souhaitons nous aussi une conclusion mais une conclusion qui soit équitable.
R - LE CHANCELIER KOHL : Tout ce que je peux dire à ce sujet, c’est qu’il faut savoir d’abord qui le demande et deuxièmement quels sont les domaines concernés. Vous posez une question très large, je ne peux répondre que de manière très large. Donc, j’en reste à la thèse fondamentale que nous avons exprimée. Nous souhaitons que les négociations du GATT aboutissent le plus vite possible, si possible avec un résultat positif.
Nous ne voulons pas parvenir à un accord à n’importe quel prix, ce serait une mauvaise politique. Je suis d’accord avec l’approche française d’un concept global souligné par le Président de la République et le Premier ministre et il va falloir que nous parvenions à un accord dans ce sens. Alors est-ce que nous sommes prêts à faire des compromis ou non ? C’est peut-être le sens de votre question et bien je peux dire que pour le GATT, on ne pourra pas parvenir à un résultat positif sans mettre sur la table tous les sujets avec toutes les exigences qui y sont liées, toutes les offres. Nous ne parviendrons à un compromis que dans la mesure où on est prêt à céder sur certains points, alors que les autres céderont sur d’autres points. C’est la nature d’un compromis. Cela vaut pour le reste, ce n’est qu’avec de la bonne volonté qu’on peut parvenir à un résultat positif.
Q - Est-ce que vous croyez qu’on peut vraiment réussir l’Union économique et monétaire avec tous les problèmes qui existent sur le plan économique pour l’instant ?
R - LE PRESIDENT : Oui et nous attendons impatiemment si l’on peut dire, la réponse de votre Parlement qui a déjà commencé de se prononcer. J’ai l’impression que vous pourriez reposer la question dans quelques temps de façon très utile ... !
R - LE CHANCELIER KOHL : Je voudrais relever le gant et répondre à cette question en mon nom naturellement. Oui bien sûr c’est très difficile, très ardu mais tout le temps, on me dit : "les questions sont ardues et par conséquent, on ne peut pas y répondre" mais lorsqu’il y a une dizaine d’années, j’ai participé à mon premier sommet comme Chancelier allemand, chacun a dit : "L’Europe c’est fini" et notamment en Grande-Bretagne, on disait "c’est terminé". En Allemagne, on disait la même chose. Alors, on appelait cette maladie "l’eurosclérose" et on mettait cela à la une des journaux.
Personne ne parle plus d"’eurosclérose" aujourd’hui. Pourquoi ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Le traité de Maastricht, certes, n’a pas été adopté pour le 31 décembre 1992 mais on va le ratifier pour le ler octobre 1993. Et alors ? Par rapport au siècle qui va se terminer dans sept ans, par rapport à ce siècle qui a connu tant d’événements et de bouleversements et par rapport au discours de Zürich de 1946 jusqu’à la 6lème consultation franco-allemande, ce n’est rien du tout !. Ce sont quelques mois. C’est moins que rien dans l’histoire d’un Etat ou de plusieurs Etats, ce n’est rien du tout.
: Par conséquent, je ne suis pas du tout pessimiste. Naturellement, nos amis britanniques devront changer de perspectives sur plusieurs points. Leur histoire diffère de celle des Allemands. En ce qui concerne les Allemands, leur voie était facilitée par l’Europe à cause de leur histoire, paradoxalement, mais en Grande-Bretagne ça ne sera pas pareil.
Quand je vois les jeunes Britanniques, ils pensent comme mes enfants. Il se peut qu’il y ait des nuances chez les Britanniques mais enfin, l’histoire c’est l’histoire, et elle continue.
R - LE PRESIDENT : Je suis tout à fait d’accord avec cette analyse à une nuance près : en effet, six mois ce n’est rien par rapport à la durée mais votez quand même en octobre ! Il vaudrait mieux que cela soit fini. Recommandation amicale ! Je vous remercie.