Le couple franco-allemand

72ème Sommet franco-allemand à Postdam (1er décembre 1998) - Conférence de presse conjointe

M. SCHROËDER - Mesdames, Messieurs,
Merci d’être venus aussi nombreux. Cela vaut la peine, d’ailleurs, de venir à Potsdam, en vous promenant dans la ville, vous l’aurez constaté.
Je me réjouis beaucoup que mes hôtes français, Monsieur le Président de la République et Monsieur le Premier ministre, aient bien voulu que nous nous retrouvions à Potsdam, parce que j’étais tout de même fier de pouvoir montrer tout ce qui a été fait ici, comme ailleurs, dans les nouveaux Länder au cours des dix dernières années, ce qui a été fait essentiellement par les citoyens et les citoyennes, et parce que j’étais un peu fier de montrer les efforts qui ont été déployés dans des circonstances difficiles. Je crois que ceci montre de façon éloquente la volonté des citoyens et des citoyennes des nouveaux Länder de s’engager dans cette construction de l’Est.

Ce n’est donc pas par hasard que nous nous sommes retrouvés ici, à Potsdam. C’était de façon tout à fait intentionnelle, et c’est aussi parce que les habitants de Potsdam prétendent, non sans raison, être les habitants d’une des villes les plus françaises. Française par l’histoire et, comme le maire nous l’a dit avec fierté, cette tradition de francophilie se poursuit actuellement à Potsdam.

Alors à l’avant plan de nos entretiens, on trouve un certain nombre de sujets de poids concernant tant la relation bilatérale que nos efforts conjoints en Europe, et pour l’Europe. Vous me permettrez quelques observations liminaires.

Vous trouverez dans la déclaration commune le détail du contenu de nos entretiens et de nos décisions.

Avant de revenir sur deux ou trois points, je voulais dire à quel point j’étais heureux de l’atmosphère cordiale qui a présidé à notre rencontre. Je dois dire que vraiment cela a été un vrai plaisir de faire ce travail politique ensemble depuis 48 heures. Je crois que ceci s’explique par la qualité des relations franco-allemandes, par l’amitié de ces relations et aussi par cette façon de travailler extrêmement sympathique du Président de la République et du Premier ministre. Donc, tout cela s’est déroulé dans une atmosphère très amicale et ce n’est pas une formule creuse que j’emploie là.

Nous avons, bien entendu, réfléchi à la façon d’améliorer encore les choses, de donner un nouvel élan à nos relations et nous avons demandé à nos ministres des Affaires étrangères de réfléchir à la question de savoir si les sommets, à l’avenir, ne devraient pas se concentrer sur certains thèmes pour améliorer leur efficacité, et de réfléchir également s’il fallait toujours se réunir dans un cadre aussi vaste qu’on l’a fait cette fois-ci. Toutes ces questions vont donc devoir être creusées et nous en tirerons peut-être les premiers enseignements lors du prochain sommet.

Pour ce qui est des questions bilatérales, vous les trouverez abordées dans la déclaration. Les relations franco-allemandes sont déjà très riches, les contacts au plan gouvernemental sont nombreux, denses. Mais nous voulons que cette relation franco-allemande s’élargisse dans la société civile et c’est là un des grands projets sur lesquels nous allons nous concentrer.

Quant aux questions européennes, quant à nos responsabilités communes en Europe, il faut dire que la France et l’Allemagne continuent à se concevoir comme moteur de l’intégration européenne et qu’elles sont conscientes de la responsabilité qui est la leur, c’est-à-dire d’assumer ce rôle de moteur en étroite concertation.

Je suis particulièrement heureux que la partie française convienne avec nous que, sous la présidence allemande -et dès le Sommet de Vienne on verra des résultats bien sûr-, on va pouvoir arriver à terminer l’agenda 2000. Nous espérons boucler cela au mois de mars à l’occasion d’un sommet. C’est très ambitieux, parce qu’il y a des sujets lourds dans cet agenda 2000, l’agriculture et d’autres. Nous allons essayer de relever ce défi. En tout cas, nous sommes très heureux que nos amis Français veuillent nous soutenir dans cet effort.

Nous nous sommes concertés sur le processus d’élargissement qui, bien entendu, est lié à l’agenda 2000 car c’est la condition nécessaire pour jeter les bases financières à partir de l’an 2000.

Nous avons bien précisé que la France et l’Allemagne considéraient toutes les deux que cette Europe ne devait pas se terminer à la frontière orientale et qu’il fallait rapidement négocier avec les pays candidats. Quand nous disons rapidement, nous le pensons.

Nous avons également précisé que, dans ce processus, il était très important de réformer les institutions européennes. Entreprise difficile, parce qu’il faut, d’une part, peut-être, penser à rapetisser la Commission au moment de l’élargissement, et puis cela pose également le problème des décisions à la majorité qui doivent être plus nombreuses maintenant si on veut vraiment faire du travail efficace en Europe.

Nous avons également parlé de la politique étrangère et de sécurité commune mais je ne voudrais pas, bien entendu, préjuger toutes les questions que vous aborderez, ni préjuger ce que voudrait dire le Président de la République. Je vais donc lui demander ce qu’il souhaite ajouter et, ensuite, donner la parole à Monsieur le Premier ministre, bien entendu.

LE PRÉSIDENT
- Monsieur le Chancelier, Mesdames, Messieurs,
Tout d’abord, j’ai approuvé totalement ce qu’a dit le Chancelier pour ce qui concerne l’agrément de cette rencontre, aussi bien des travaux que de l’environnement et l’accueil que nous avons reçu de la part de la population de Potsdam qui nous a beaucoup touché.

Je crois que ce que l’on peut retirer comme conclusion de nos entretiens c’est que, quelles que soient les divergences, relativement peu nombreuses, qui peuvent exister entre nous sur tel ou tel point particulier, nous avons une approche commune des problèmes et des objectifs communs.

C’est vrai, comme l’a dit le Chancelier, de notre volonté de soutenir les efforts allemands pour conclure sur l’agenda 2000 sous présidence allemande. C’est vrai sur la façon de négocier cet agenda 2000, même si sur tel ou tel point nous sommes encore séparés par des points de vue différents, je pense en particulier à l’agriculture.

C’est vrai pour le processus d’élargissement de l’Europe et également pour la réforme institutionnelle que cela suppose.

C’est vrai en matière de politique de défense où nous avons la même conception de la nécessité d’un pilier européen de la défense à élaborer en accord, notamment après leur déclaration à Pörtschach, avec les autorités britanniques, et donc notre volonté commune de préparer ensemble le Sommet de Washington.

C’est vrai pour la promotion d’un vrai volet social européen. Vous savez que depuis mon élection, et le Gouvernement depuis son arrivée, nous nous battons pour qu’il y ait un véritable volet social dans l’Europe. Et cela progresse, d’où l’idée, nous en avons parlé avec le Chancelier, d’un pacte européen pour l’emploi particulièrement focalisé sur les jeunes, les chômeurs de longue durée et aussi l’élimination des discriminations dont sont encore victimes les femmes.

C’est vrai pour la préparation de la très importante réunion qui aura lieu à Cologne pour le G7-G8. J’ai proposé au Chancelier, qui a adopté cette hypothèse de travail, que l’on donne à ce G7, un peu dans l’esprit que nous avons donné depuis Lyon à nos discussions, deux priorités : d’une part, le renforcement du système financier international et, d’autre part, une vraie discussion qui, maintenant, peut être à mon avis utilement entamée entre les sept membres du G7 sur la maîtrise inévitable, nécessaire, des conséquences sociales de la mondialisation.

Nous avons également une approche commune sur les problèmes culturels. nous nous réjouissons que l’université franco-allemande soit à Sarrebrück la relance de l’OFAJ, des échanges de fonctionnaires, etc...
Et nous avons abordé un problème difficile, douloureux, qui est celui du droit de garde des enfants issus de couples mixtes. Nous ne pouvons pas maintenir une situation aussi douloureuse que celle que nous connaissons actuellement, je dirais, au total, injuste.

En conclusion, comme l’a dit le Chancelier, nous avons évoqué la rénovation, qui est une nécessité permanente, des sommets et, plus généralement, des relations entre l’Allemagne et la France, pour les renforcer et, pour les renforcer, comme le disait Gerhard Schröder tout à l’heure, dans le domaine des relations entre les peuples, entre les sociétés, entre les cultures. Nos ministres des Affaires étrangères nous feront, effectivement, des propositions prochaines.

Enfin, vous voyez que tout cela c’est passé, je dois le dire, dans le meilleur esprit, et c’est de bon augure pour franchir les obstacles de la construction européenne pour les mois qui viennent. Je souhaite à la présidence allemande une très bonne présidence pour nous tous.

LE PREMIER MINISTRE
- Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Chancelier,
Mesdames et Messieurs.
Je voudrais d’abord que vous pardonniez aux ministres français ou à la plupart des ministres français venus nombreux à ce sommet de n’être pas resté jusqu’à cette conférence de presse. Nous avons discuté peut-être un peu plus longuement que nous ne l’avions prévu du point de vue des horaires. Nous avions beaucoup de choses à nous dire, et ils devaient regagner Paris aussi vite que possible pour les questions d’actualité du mardi à l’Assemblée Nationale.

Je voudrais dire aussi qu’après nous être réunis en Allemagne au côté d’Helmut Kohl à Weimar, il y a à nouveau un symbole très fort que de nous réunir au côté de Gerhard Schröder et à son invitation aujourd’hui à Potsdam.

Il y a dix huit mois dans le premier sommet franco-allemand que j’ai connu à Poitiers il y avait beaucoup d’interrogations, notamment parmi les journalistes sur ce que serait la relation franco-allemande et on s’est rendu compte que les inquiétudes ou les préoccupations étaient vaines. Nous avons bien travaillé - le Président et les deux gouvernements -, même si nous avons eu peut-être la sensation que parfois la relation était devenue un peu routinière. C’est pourquoi le Président de la République française avait souhaité une relance que nous avons voulu accompagner. Dix huit mois après, alors qu’un nouveau gouvernement, mais cette fois en Allemagne, arrive je constate et je m’en réjouis, il n’y a plus ce type d’interrogation et au contraire on insiste sur la qualité et la chaleur et l’espoir d’un nouvel élan de la relation franco-allemande.
On le sait tous et vous particulièrement en tant qu’observateur de longue période, la relation franco-allemande transcende les alternances, les changements, dans les deux pays, mais il est vrai qu’un certain nombre d’affinités qui existe entre les deux gouvernements doivent pouvoir permettre de travailler avec force. La relation franco-allemande n’est pas pour nous un enfermement, mais elle est pour nous un point d’appui pour aider l’Europe à affronter les défis qui sont devant elle et ceci d’autant plus que, comme l’a dit le Président de la République c’est la présidence allemande qui dans quelques temps, dans quelques semaines, enfin à partir du mois de janvier marquera la nouvelle étape.

Alors à mes yeux ce qui marque justement ce nouvel épisode de nos relations, consiste en deux choses : la première c’est une dynamique nouvelle sur les questions où nos visions sont proches, et la deuxième c’est une capacité à dégager des compromis, entre nous et avec les européens, sur les problèmes où ils existent des différences.

Sur le premier point, l’insistance que met la déclaration commune sur la croissance économique, l’emploi, la coordination des politiques économiques, la promotion d’un vrai volet social européen, les avancées en matière d’harmonisation fiscale, la volonté de régulation et de légitimation des institutions financières internationales, notamment du comité exécutif du FMI, j’espère proposer des dynamiques nouvelles et en ce qui concerne les compromis, vous le savez, nous serons confronter naturellement au problème d’agenda 2000 que nous voulons conclure, comme l’a dit le Président de la République sous présidence allemande. Et si je voulais donner juste un exemple mentionné dans la déclaration d’un dossier sur lequel il y avait blocage depuis longtemps et où nous pouvons espérer, je suis prudent, peut-être un déblocage, c’est celui de la société européenne. Si comme nous le souhaitons, les ministres compétents dans quelques jours peuvent faire déboucher ce dossier, ce sera en partie parce que nous aurons réussi à trouver entre français et allemands un compromis. Voilà l’essentiel de ce que je voulais dire pour compléter les propos introductifs du Président de la République bien sûr et par ailleurs de Gerhard Schröder.

QUESTION
- On nous a dit hier qu’une fusion Dasa-British Aerospace était une fusion que vous pouviez comprendre. Pourriez-vous préciser ? Etes-vous favorables à cette fusion Aérospatiale-Dasa-British Aerospace, et si oui, si vous y êtes favorables, quand cette fusion pourrait-elle être réalisée ?

LE PRÉSIDENT
- Vous connaissez le sentiment français exprimé depuis longtemps, qui consiste à souhaiter qu’il y ait la construction d’un ensemble cohérent homogène européen en matière aéronautique.

A partir de là, il s’agit naturellement d’un domaine privé et nous n’avons pas l’intention de faire d’ingérence dans les affaires privées mais notre souhait c’est la construction, dans l’intérêt de l’Europe, d’un ensemble homogène et cohérent.

QUESTION
- Quelle position la France et l’Allemagne prendront-elles sur le débat d’un nouveau concept stratégique de l’OTAN, notamment pour les interventions hors zone ? Doivent-elles se faire avec mandat des Nations Unies, ou de l’OSCE, et est-ce que cela va se régler comme on l’a fait pour le Kosovo ?

M. SCHROËDER - Nous avons en effet discuté de cette question. Nous avons parlé de l’évolution de la stratégie de l’OTAN. La question que vous abordez n’en est qu’un aspect. Nous ne voulons pas que cette situation d’exception que vous évoquiez devienne la règle et nous sommes convenus que, pour de telles interventions, un mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies était nécessaire, et que dans tous les autres cas il s’agirait d’exceptions qui doivent rester exceptions.

LE PRÉSIDENT
- Nous avons dans cette affaire un point de vue commun et c’est ce que j’évoquais tout à l’heure quand je disais que nous préparions sans difficulté ensemble notre position pour le sommet de Washington.

QUESTION - Je suis surpris de lire, dans la déclaration, que vous devez encore réfléchir à une approche commune vis-à-vis du problème de l’élargissement. Alors quelle est, à ce stade avancé quand même, la difficulté à trouver une position commune entre les deux pays sur cette question ?

M. SCHROËDER - Il n’y aura pas de difficultés. J’ai dit très clairement que, tous les deux, nous sommes favorables à ce que les négociations d’adhésion avec les candidats connus avancent rapidement. Je confirme. Mais nous avons de part et d’autre quelques difficultés à nous engager, à fixer un calendrier définitif. Parce que ces négociations d’adhésion s’inscrivent dans un processus dynamique et quand on se trouve au début d’un processus difficile qui concerne toutes les structures de l’Union, puisque les candidats doivent adhérer à toutes les structures, il est bien sûr difficile de se fixer sur un calendrier rigide. C’est pourquoi dès le début j’ai dit qu’il serait très difficile de s’engager sur des dates et je continue à le penser. C’est pour cela que ceci est exprimé dans la déclaration. Mais sur la concertation entre nous pas de difficultés.

LE PRÉSIDENT - Je ne vois pas très bien à quoi vous faites allusion. Notre position, s’agissant de l’élargissement, est une position commune tant en ce qui concerne les procédures qu’en ce qui concerne les objectifs, c’est-à-dire la totalité des pays européens qui peuvent prétendre et qui ont fait acte de candidature pour entrer dans l’Europe.
J’ajoute que nous nous sommes même rapprochés sur un point important, c’est la nécessité, par ailleurs, si l’on veut bien gérer l’Europe, d’avoir une réforme des institutions préalable à la première entrée dans l’Europe. Ce qui est exact, en revanche, c’est que l’on voit bien, au fur et à mesure où le temps passe, que les procédures risquent d’être un peu plus longues que prévu. Parce que ce sont des problèmes complexes, économiques, sociaux, et que les procédures seront probablement un peu plus longues que prévu mais cela ne met en rien en cause notre volonté commune d’élargir le plus vite possible, c’est-à-dire de faire entrer les pays prêts à entrer le plus rapidement possible.

LE PREMIER MINISTRE
- Peut-être que la phrase à laquelle vous faites allusion ne rend pas tout à fait compte de ce que nous pensons définir : une approche commune ce n’est pas vis-à-vis de la problématique. Je crois que vis-à-vis de la problématique comme cela vient d’être dit, le choses sont claires. Je dirais même qu’elles se sont rapprochées et j’en dirais un mot. Je crois qu’il s’agit de définir une approche commune vis-à-vis du processus concret. d’élargissement. C’est-à-dire des négociations engagées avec différents états, en tout cas c’était je crois ce que nous voulions dire.

En ce qui concerne la problématique, il me semble qu’il est clair maintenant, en tout cas entre nous, et peut-être pour d’autres européens et notamment pour les pays de l’Est candidat à l’adhésion, que la France n’est pas moins engagée politiquement et aussi sur les problèmes de circulation. Donc je crois au contraire que nos visions se sont rapprochées. Je l’avais ressenti dès la première fois où j’avais rencontré Gehrard Schröder.

Par ailleurs la démarche institutionnelle est précisément mentionnée dans la déclaration. Enfin comme cela vient d’être dit, les problèmes de dates ne se posent plus exactement dans les mêmes termes. Je ne crois plus que nous sommes à un moment où on doit évoquer des dates précises. J’ai eu l’occasion d’aller en République tchèque tout récemment et cette question des dates a été posée. Je n’ai pas voulu y répondre en terme de date. J’ai dit simplement nous sommes prêts. Nous vous attendons, ce sera le plus tôt possible, mais se sera à vous de déterminer au fond, candidats à l’adhésion en discussion bien sûr avec l’Union européenne, qui a ses propres exigences sur ce que l’on appelle l’acquis communautaire, quand vous vous estimerez au fond en mesure de supporter le choc pour vos économie et vos société que signifie l’intégration.

A une question posée au Président Vaclav Havel, à l’issue de notre rencontre lui-même a répondu, dans une conception de date : 2003. Vous vous souvenez des dates qui avaient été évoquées à une autre époque. Ce qui veut dire que les choses à mon avis ont mûri et sur ce point il me semble, comme l’a exprimé le Président de la République et comme l’a dit le Chancelier, que nos visions sont vraiment maintenant nos approches du processus concret et sont très proches.

QUESTION - Est-ce que vous avez discuté du problème du nucléaire ? Je me réfère soit au nucléaire civil, à la lumière de l’intention du Gouvernement du Chancelier Schröder d’entamer la sortie du nucléaire dans un certain temps. soit du nucléaire militaire comme aspect de la stratégie de l’OTAN ? Je me réfère au "no first use" qui a été évoqué par le ministre allemand des Affaires étrangères dans les semaines passées. Merci.

LE PRÉSIDENT
- Nous avons naturellement évoqué ces différents aspects.

Je voudrais tout d’abord dire, clairement, qu’il n’appartient pas à la France de porter un jugement sur les orientations politiques ou économiques choisies par le Gouvernement allemand. Donc nous n’avons pas à porter de jugement.

Sur le plan du nucléaire militaire, le problème auquel vous faites allusion n’est pas un problème franco-allemand, c’est un problème à traiter au niveau de l’OTAN. Et par conséquent il sera traité à ce niveau là. La France n’a aucun commentaire à faire dans ce domaine.

S’agissant du nucléaire civil, nous avons dit au Chancelier que, sans nous ingérer le moins du monde dans les affaires intérieures allemandes, il y avait des problèmes techniques qui étaient posés et que ces problèmes techniques devraient être évalués et ensuite traités.

Ces problèmes, c’est essentiellement l’avenir du réacteur EPR qui a pour avantage de faire un progrès extrêmement important en matière de sécurité.

Les problèmes se sont également les conséquences éventuelles, à apprécier, des décisions allemandes lorsqu’elles seront vraiment formalisées sur les engagements qui ont été souscrits à Kyoto pour ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre. Bien évidement, il sera probablement beaucoup plus difficile à l’Allemagne, qui n’a pas l’intention bien sûr de remettre en cause ses engagements, de les tenir sans nucléaire qu’avec nucléaire. Cela, c’est un problème qu’elle doit étudier et apprécier.

C’est aussi le problème, je dirai au niveau du G7-G8, de la coopération qu’ensemble, Allemands et Français, nous avons vocation à apporter aux pays de l’Europe de l’Est et à la Russie pour maîtriser les centrales nucléaires de ces régions qui ne présentent pas toujours les garanties nécessaires en matière de sécurité.

Enfin, le dernier point ce sont les problèmes posés à la France dans le cadre des contrats de retraitement des déchets passés entre l’Allemagne et la COGEMA, mais ceci c’est un problème technique qui sera étudié lorsque le moment sera venu.

Donc ce que nous avons décidé, pour le moment, c’est une évaluation technique des problèmes, purement et simplement, et puis ces problèmes seront traités le moment venu quand ils seront en état de l’être.

LE PREMIER MINISTRE - Je voudrais préciser à cet égard que nous avons décidé la création d’un groupe de travail franco-allemand. Il traitera de souveraineté, dans le respect des décisions prisent souverainement par l’Allemagne naturellement en tenant compte du fait que les orientations françaises ne sont pas les mêmes. Et nous en décidons également dans un même cadre de souveraineté. Tout cela peut avoir un certain nombre d’implications très concrètes, très précises, qu’il convient d’examiner tranquillement dans l’état d’esprit qui est le nôtre pour que des solutions à ces questions précises soient trouvé par les deux gouvernements.

M. SCHROËDER - J’ajouterai une observation à ce propos, puisque cela nous concerne. Ce qui a été dit est tout à fait exact, notre plan de sortie du nucléaire doit se faire bien entendu dans le total respect des règles de droit, des engagements internationaux et bien entendu toutes les questions soulevées par ce projet doivent être soigneusement abordées et étudiées avec la France.

Ce groupe de travail sera conduit du côté allemand par un représentant de la Chancellerie avec participation du ministre de l’Environnement, Juergen Trittin, et il faudra bien entendu, comme l’a dit le Président, faire la liste des questions techniques et juridiques, les étudier, en tirer les conséquences nécessaires. Ce processus va se mettre en place immédiatement et bien entendu ne restera pas sans conséquence sur le rythme avec lequel nous allons pouvoir concrétiser notre intention.
Quant au débat sur le "first use", le premier usage, il y a d’abord un débat stratégique au sein de l’OTAN et c’est un droit de la République fédérale et du ministre des Affaires étrangères que d’aborder ce genre de questions qui sont traitées dans notre accord de coalition. Mais une chose doit être clairement dite d’emblée, il y a peut-être des malentendus sur telle ou telle communication : même si la position allemande ne devait pas l’emporter sur cette question, notre solidarité dans l’Alliance n’est absolument pas mise en cause. Nous la maintiendrons intégralement et je tenais bien à le souligner.

QUESTION
- Est-ce que vous avez parlé d’une position commune sur l’affaire Ocalan, et que pense la partie française d’un tribunal pénal international ?

M. SCHROËDER
- Nous n’avons pas débattu de cette question, mais bien entendu les ministres spécialisés en ont parlé entre eux. Nous avons, nous, gouvernement allemand, dans nos entretiens avec la partie italienne, bien exposé notre position. Pour ce qui est de la position française, je serais ravi de permettre au Président de répondre. C’est un sujet difficile et donc je ne voulais pas interpréter la position française, et je souhaitais qu’elle vous soit exposée directement.

LE PRÉSIDENT - Evidemment, une affaire qui concerne l’Italie et l’Allemagne et qui a un fort potentiel politique ne peut pas laisser indifférent les autres membres de l’Union européenne. C’est la solidarité européenne qui l’exige à juste titre. Eh bien, dans cette affaire, nous aurons effectivement une consultation avec nos partenaires de l’Union européenne.

QUESTION - Est-ce que vous pouvez nous dire si vous allez demander à vos treize partenaires européens de mettre en place des objectifs contraignants et vérifiables, comme vous l’avez écrit dans le texte, pour lutter contre le chômage ?

M. SCHROËDER - Cela sera un des points essentiels du Conseil européen à Vienne et cela sera certainement un des points qui intéressera et occupera le plus la Présidence européenne. La politique européenne de l’emploi ne doit pas remplacer la politique nationale, elle doit venir la compléter. Et ce qui a été décidé à Luxembourg doit devenir en effet plus contraignant. Il faut donner, définir des orientations sur lesquelles, face auxquelles, les plans, les efforts nationaux pourront être mesurés, et c’est cela dont nous parlerons à Vienne d’abord, et de façon renforcée ensuite sous présidence allemande.

Je voudrais reprendre ce qu’a dit le Président Chirac. Le sommet G7-G8 à Cologne s’occupera non seulement de l’architecture financière internationale, mais aussi des conséquences sociales de ce qu’on appelle la mondialisation. Et ces effets négatifs à long terme ne pourront être combattus que si on renforce la coopération internationale sur ce volet social. Et nous ferons ensemble de grands efforts pour que l’emploi se trouve au coeur de la politique européenne, car dans nos entretiens, nous avons bien souligné que l’Europe ne devait pas être uniquement un lieu d’action et d’activités économiques, mais également un lieu où, à côté des activités économiques, les interactions sociales et culturelles sont très importantes.

Tout ceci pour nous distinguer d’autres formes d’organisation de la vie publique, et devant venir se compléter l’économique, le culturel et le social. Nous allons parler de tout cela à Vienne et, ensuite, pendant la présidence allemande, bien sûr.

LE PRÉSIDENT
- Vous avez vu que, petit à petit, et ce n’était pas facile compte tenu de la conception de départ de l’Europe, petit à petit, ce volet social européen se met en place. La France y a fortement contribué. Dans ce volet social, au coeur il y a d’une part les garanties sociales et d’autre part le pacte pour l’emploi. Notre objectif est de mettre en oeuvre un pacte européen pour l’emploi. C’est plus facile à dire qu’à faire mais c’est une volonté qui est maintenant clairement admise par l’ensemble de l’Union européenne.

LE PREMIER MINISTRE
- Amsterdam, Luxembourg et Cardiff ont été les dernières étapes des progrès faits dans ce sens pour rééquilibrer la construction européenne dans le sens de la croissance, mais aussi dans le sens de l’emploi.

Il a été décidé que des lignes directrices sur l’emploi seraient établies. Chaque pays a dû présenter un programme sur ces questions d’emploi et la France d’ailleurs l’a fait et a vue son travail saluer par la Commission européenne. Nous sommes dans une nouvelle étape et le nouveau gouvernement allemand a souhaité, notamment évoquer cette idée, et Gehrard Schröder, d’un pacte européen pour l’emploi. Ce qui rejoint tout à fait nos préoccupations.

Alors nous espérons bien d’abord que Vienne, puisque Vienne est le deuxième sommet, le sommet de fin d’année plus exactement, qui aura maintenant pour vocation d’examiner ces problèmes de l’emploi et de consacrer une partie de ces discussions à l’emploi, nous espérons bien que l’on pourra faire de nouveau pas en avant et si l’on peut se fixer dans des domaines qui sont assez précisément décrits : le chômage des jeunes, le chômage de longue durée ou les discriminations entre femmes et hommes ou à l’égard des femmes, si nous pouvons, effectivement, faire partager par nos partenaires l’idée d’objectifs quantitatifs, cette déclaration signifie que les deux pays en sont d’accord.

QUESTION
- Monsieur le Président, c’est donc le premier sommet franco-allemand où vous êtes entourés de deux hommes de gauche. Certains pourraient croire que vous êtes un peu coincé entre les deux ou est-ce qu’au fond de votre coeur vous avez le sentiment que vous êtes le social démocrate dont le Chancelier a parlé à Paris, en se référant à vous ?

Puis lorsque vous aurez répondu, j’aimerais bien savoir si Monsieur Jospin vous trouve un peu plus de gauche maintenant ?

LE PRÉSIDENT
- C’est un peu compliqué. Je vais vous dire simplement que je ne me sens pas du tout coincé. Je me trouve même tout à fait à l’aise.

M. SCHROËDER
- D’ailleurs à aucun moment il n’a donné l’impression d’être coincé, soumis, assujetti. Au contraire, je l’ai toujours trouvé très sûr de lui et même très gai, ce qui a été très agréable.

LE PREMIER MINISTRE - Oui, oui, je partage tout à fait ce point de vue.

Quant à la définition politique du Président Chirac, vous conviendrez que c’est à lui qu’il convient de la porter.

QUESTION
- Monsieur le Chancelier, attendez-vous de vos collègues français une certaine compréhension pour que la contribution allemande puisse être un peu allégée ?

M. SCHROËDER - Je le souhaite, je l’espère cette compréhension, bien sûr. Et je crois que tout le monde est d’accord pour dire que la question des contributions doit être réglée de façon plus juste, cela ressort également du rapport de la Commission. On verra comment on règle cela concrètement.

Je dirai simplement que ceci est d’abord une affaire dans laquelle nous ne devons pas exiger trop de nos partenaires, parce que nous savons que cette question avait été réglée en 1992, avec la participation d’un gouvernement allemand, gouvernement qui n’était pas le mien. Mais, enfin, revenir sur cette décision face aux intérêts parfois divergents en Europe, ce n’est pas toujours facile. Si c’était facile, d’autres l’auraient fait bien sûr. Mais, bien entendu, nous comptons sur le soutien du partenaire français. Mais nous savons que cela sera difficile, il ne faut pas trop exagérer, trop attendre de l’autre, nous saurons le faire et on verra les dispositions concrètes.

LE PRÉSIDENT
- Le problème se pose et la France ne le conteste pas. Elle souhaite apporter sa contribution pour que l’Allemagne puisse avoir satisfaction, au moins en partie, mais on ne traitera pas ces problèmes séparément les uns des autres. Chaque pays a au moins un problème important. Ce qu’il faut donc, c’est admettre que tout est mis sur la table, qu’il n’y a pas de droits acquis définitivement, que tout est négociable et à partir du moment où cet esprit s’imposera dans l’Union, alors on aura plus de facilités pour trouver un compromis global où chacun retrouve un peu les avantages qu’il cherche. C’est l’esprit que nous avons défini entre le Chancelier et nous-mêmes, et je crois que c’est la voie de la sagesse.

QUESTION
- Monsieur le Premier ministre, quel sentiment avez-vous sur ce problème des couples franco-allemands divorcés. Madame Guigou en a-t-elle parlé avec son homologue ? Quelle solution comptez-vous apporter, avec votre Gouvernement, dans ce conflit ?

LE PREMIER MINISTRE
- Madame Guigou en a parlé effectivement avec Madame Daeubler-Gmelin. Elles doivent d’ailleurs se revoir, à cet égard, le 14 décembre à Paris. C’est ce qu’elles nous ont dit en rendant compte de leurs entretiens bilatéraux.

En réalité, ce problème aussi douloureux qu’il soit, n’est pas un problème franco-allemand. Il n’y a pas de problème entre la France et l’Allemagne à ce propos. Ce sont des problèmes de couples qui se défont, qui essayent et qui, en l’occurrence, ne réussissent pas bien régler le problème du rapport à leurs enfants.

Le fait simplement qu’ils appartiennent à deux pays différents qui créent l’éloignement, qu’ils peuvent être couverts par des législations différentes, qu’ils relèvent de procédure judiciaire et de tribunaux différents, crée des difficultés supplémentaires dans des situations qui, par définition, sont des situations douloureuses puisqu’elles ont l’incapacité de trouver une solution harmonieuse à la fin d’un couple.
Alors, nos Gouvernements, et c’est ce que nous ont dit les deux ministres -je reprends tout à fait leurs conclusions-, ne peuvent pas, bien sûr, ni commenter des décisions de justice, ni les influencer directement, même si elles peuvent avoir nos autorités politiques et nos deux ministres, leurs visions.

De toute façon, les collaborateurs des deux ministres vont se retrouver, avant Noël, pour examiner les dossiers en cours dans un esprit commun. Nous allons proposer à des parlementaires français et allemands de faire une sorte de mission de médiation, de rencontrer peut-être les familles pour parler avec elles, pour leur dire :" il faut essayer de dépasser ces drames humains", de façon à ce qu’au moins un contact soit établi, ou qu’un message soit transmis entre les parents et les enfants quant il s’agit des parents qui sont séparés de leurs enfants.

Les deux pays envisagent -et c’est un pas en avant, à mon sens, à condition bien sûr de le concrétiser- de s’engager à appliquer par anticipation ce que l’on appelle la convention de Bruxelles 2 qui a été signée en mai dernier et le pas en avant de cette convention dite de Bruxelles 2, c’est qu’elle donnera désormais la compétence à un seul tribunal, au tribunal du lieu où vivait le couple avant sa séparation. On aura plus ce conflit de droit. On aura plus ces deux justices qui réagissent selon leurs critiques, leurs habitudes ou leurs formes juridiques.

Il est possible que les deux ministres participent ensemble à un séminaire sur la famille, par ailleurs, qui permettrait d’élargir les réflexions, et comme je l’ai dit, elles en parleront le 14 décembre. C’est donc un point qui a été traité avec précision parce qu’il s’agit de problème juridique et avec humanité et délicatesse. Le fait que cela a été traité par deux femmes naturellement y contribuait.

LE PRÉSIDENT - Moi, je voudrais ajouter que j’ai été choqué par la méthode utilisée par l’un des protagonistes, qui a consisté à faire un véritable hold up et à venir enlever en territoire national français deux enfants dans des conditions inadmissibles. Nous ne pouvons pas conserver une situation où de tels faits peuvent intervenir parce que là c’est la loi de la jungle, en tous les cas, ce n’est plus l’Etat de droit. Moi, cela m’a profondément choqué et naturellement je partage tout à fait le sentiment exprimé sur le fond par le Premier ministre.

QUESTION
- Monsieur le Chancelier, pourriez-vous nous dire encore une fois comment la France et l’Allemagne imaginent la réforme du système financier international et comment concrètement on va faire cela d’ici Cologne ?

M. SCHROËDER
- Ce sujet est abordé dans la déclaration commune. Il s’agit d’instaurer un meilleur contrôle du système bancaire international. Certains travaux préparatoires ont déjà été faits lors de la dernière réunion de la Banque mondiale et du FMI, travaux conduits par les banquiers centraux-, et qui vont être poursuivis. Il s’agit également des fonds spéculatifs dont l’action a souvent pour conséquence que, quand les choses dérapent, ce sont les contribuables qui doivent passer à la caisse. Ce sont là des évolutions que l’on ne peut pas accepter en l’état et qui conduisent donc à poser de véritables problèmes sur les marchés financiers.

Troisièmement, on en parle également concrètement, il s’agit de la stabilisation et du renforcement des organisations financières internationales, c’est-à-dire la Banque mondiale et le FMI.

La France et l’Allemagne ont demandé à leurs ministres des Finances de travailler sur ce sujet et nous avons dit également que dans les États où une meilleure régulation n’est guère bienvenue, comme les Etats-Unis, on constate qu’il y a une nouvelle réflexion sur ces questions. Donc nous sommes optimistes et pensons que l’on va pouvoir trouver des règlements communs. Nous n’en sommes bien entendu qu’au début de cette réflexion et donc il ne fallait pas s’attendre à des décisions concluantes. Et c’est bien sûr une des raisons pour lesquelles ceci sera le thème central du G7-G8 à Cologne.
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