L’Iran, la Turquie, Azerbaïdjan et l’Algérie ont publiquement tancé la France à cause des émeutes. Est-ce que la réputation internationale de la France est entachée ?
Ce qui compte c’est que l’ordre républicain, l’ordre démocratique, a été rétabli. Il faut comprendre l’ensemble des raisons de ce qui s’est passé, qui sont multiples. Manifestement il y a une persistance d’un certain nombre de défis : éducation parentale, école, accès à l’emploi, au logement, à la culture même. En même temps la France avance, nos résultats économiques sont bons, une dynamique nouvelle a été lancée avec la réindustrialisation, la baisse du chômage, un meilleur accès aux services publics et la transition verte. Et heureusement les touristes affluent cet été dans notre beau pays ! Certains pays au bilan catastrophique en termes de droits de l’Homme ont cru bon de nous donner des leçons : cela prêterait à sourire si leur population ne souffrait pas autant.
La France était-elle déçue de la position allemande sur l’élargissement de l’OTAN à l’Ukraine parce qu’elle s’était positionnée beaucoup plus du côté de la Pologne et des pays baltes en faveur d’un signal plus clair ?
Le sommet de Vilnius est arrivé à de très bons résultats, y compris dans l’équilibre qui a été trouvé pour tracer le chemin de l’Ukraine vers l’OTAN. Les Alliés ont réaffirmé expressément que l’avenir de l’Ukraine est dans l’OTAN et qu’il se réaliserait lorsque les conditions le permettront. J’observe que le président Macron a dit à plusieurs reprises que ce n’était pas un pas que l’on pouvait franchir en situation de guerre. Je relève aussi qu’on a bien travaillé avec notre partenaire allemand pour trouver ce point d’équilibre. Nous avions travaillé en ce sens avec mon amie et homologue Annalena Baerbock lors de la réunion informelle des ministres des Affaires étrangères de l’OTAN à Oslo début juin.
Pour dissuader la Russie de toute tentation d’une nouvelle agression ailleurs nous avons en outre avancé sur des engagements de sécurité. C’est un message important. La Russie a commis une erreur stratégique en s’en prenant sans aucune raison à l’Ukraine. Elle ne doit pas commettre une nouvelle erreur en imaginant que le temps joue pour elle. Le temps joue contre elle. Et ça, c’est le message de Vilnius !
Sur l’élargissement de l’Union Européenne, on a l’impression que la France soit désormais plus allante que l’Allemagne. Comment expliquez-vous ce changement ?
L’élargissement se fera selon les règles. Mais il est évident que la guerre choisie par la Russie contre l’Ukraine change la donne. Comment prendre en compte cette nouvelle réalité géostratégique dans le processus d’élargissement ? Je n’oppose pas une vision française à l’allemande. Désormais nous considérons tous l’élargissement comme un impératif. Il y a une nouvelle réalité en Europe et nous devons défendre notre sécurité aussi à travers l’adhésion à nos valeurs. C’est vrai également pour les pays des Balkans. Non seulement les pays candidats doivent faire les réformes nécessaires, mais nous même, nous devrons nous réformer, réformer nos modes de prise de décision, avec un recours à la règle de majorité qualifiée dans plus de domaines, ou accepter aussi que certains puissent aller plus vite que d’autres dans l’intégration s’ils le choisissent, à condition bien sûr de rester ouverts à l’arrivée de ceux qui suivront. Je crois que ce sont des éléments nouveaux de flexibilité qu’il faut introduire dans la construction européenne.
Après le retrait forcé de la Bundeswehr au Mali après celui de l’armée française, quelle sera la stratégie pour ce pays ?
Sur le Mali, il est indispensable d’avoir la plus grande lucidité. Il y a hélas des militaires parvenus au pouvoir après deux coups d’État, qui sont devenus partenaires de Wagner, ce groupe de mercenaires russes qui ne lutte pas contre le terrorisme, qui commet des exactions nombreuses et documentées par les Nations Unies contre les civils, des crimes, des viols, des pillages de ressources… Nous avons donc considéré en 2021 que la présence de Wagner rendait incompatible la poursuite de notre action de soutien au Mali. Pour ne pas financer des groupes criminels nous n’avons pas seulement retiré nos troupes mais nous avons aussi arrêté notre aide aux autorités. Seule l’aide humanitaire est maintenue. A l’époque, certains commentateurs pensaient que cela venait d’une relation compliquée de la France avec son ex-colonie. Il n’en est rien comme montre la demande récente faite par la junte du départ de la Mission des Nations Unies, et alors même que ce sont surtout des contingents africains qui forment la MINUSMA !
Le Mali a un problème avec l’ensemble de la communauté internationale. Cela doit nous conduire à être plus fermes.
Le gouvernement allemand ne devrait-il pas arrêter son aide au développement au Mali également ?
Chacun se déterminera, mais notre position, y compris dans les enceintes internationales, est claire : on ne peut pas cautionner un tel régime en lui apportant des financements, même des financements qui ne lui bénéficieraient pas directement. Ce groupe n’a aucune efficacité dans la lutte contre les groupes armés terroristes, au contraire, l’insécurité s’accroit au Mali. De plus, en Afrique, le putsch avorté en Russie va faire s’interroger beaucoup sur la force de ce groupe de mercenaires.
L’échec de l’Europe au Mali signe-t-il la fin d’une certaine politique africaine ?
Ni la France ni les Européens ne se désintéressent de l’Afrique subsaharienne. Nos partenaires européens participent à des missions au profit de plusieurs pays de la région. Nous venons de lancer, il y a un mois, une nouvelle mission civile de l’UE au Niger. Nous, européens, sommes les premiers bailleurs d’aide au développement pour l’Afrique. A cela s’ajoute le programme européen Global Gateway qui est un programme de financement d’infrastructures notamment pour la transition écologique dans le monde entier, y compris en Afrique.
La France vient de renforcer son partenariat stratégique avec l’Inde, le président Macron part prochainement en Océanie. Est-ce que la France se voit comme une puissance asiatique ?
Oui, la France est aussi une nation de l’Indopacifique, avec ses territoires dans l’Océan indien et le Pacifique, une population de près d’un million et demi d’habitants français, une présence militaire permanente. Notre marine est la seule de l’Union européenne à effectuer de façon permanente des missions de souveraineté pour assurer la liberté de navigation dans les eaux internationales. Dans cette région du monde nous faisons face à une réalité stratégique nouvelle, avec des tensions croissantes, une assertivité croissante de la Chine parfois de façon excessive, mais il y a aussi des enjeux économiques ou de climat évidemment. L’objectif est de préserver une liberté de choix, pour que chacun des pays de la région ait la possibilité choisir ses coopérations. Celles-ci peuvent être variables, selon les domaines. Cela ne concerne pas seulement les Iles Salomon, qui expérimentent une forte influence chinoise, mais concerne tous les pays de l’Indopacifique, qui doivent avoir la liberté de leurs choix.
La nouvelle stratégie allemande sur la Chine va-t-elle assez loin dans le de-risking ?
Je le crois. Cette stratégie correspond pleinement à ce nous pensons à propos de la Chine, qui reste tout à la fois un partenaire, un concurrent et un rival, avec une dimension de rivalité plus évidente, qui monte mais qui ne dispense pas du besoin de rechercher des coopérations là où c’est possible, d’affirmer nos différences, là où c’est nécessaire, par exemple sur les droits de l’Homme. Et surtout éviter des dépendances excessives. La nouvelle approche allemande rejoint tout à fait la vision française, nous sommes en phase.
Quel regard portez-vous sur la relation franco-allemande alors que le président Macron a du reporter sa visite d’Etat ?
Ce report est en regret mais il n’avait rien à voir avec la relation franco-allemande, qui reste très dynamique et toujours nécessaire, par exemple pour trouver à s’accorder sur la politique de l’énergie ou les programmes capacitaires de défense. C’est une relation qui change la vie des millions de gens. Je me rends la semaine prochaine avec la ministre Annalena Baerbock dans les villes de Steinfeld et de Lauterbourg, de part et d’autre de notre frontière, pour voir des projets concrets européens au service des citoyens dans la formation mais aussi dans l’approvisionnement en eau. Nous sommes faits pour nous entendre !
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